samedi 17 novembre 2012

ANGÉLISME ET BRICOLAGE

(Chronique parue le 16 Novembre 2012 dans le Journal de Québec)
                                           

Dans ses mémoires, René Lévesque écrit ce qui suit à propos de la loi sur le financement des partis politiques : «De toutes les réformes que nous avons pu mener à bien, voila celle dont je serai toujours le plus fier. Celle également qu’on ne laisserait ternir que pour avoir à s’en mordre les doigts.»

Quand on observe d’un regard horrifié les péripéties sordides de la Commission Charbonneau, on comprend mieux pourquoi, pour René Lévesque, son principal objet de fierté en matière de législation, ce n’était pas la charte de la langue française, ni la loi de l’assurance-automobile, ni celle sur le zonage agricole, c’était la loi sur le financement démocratique des partis politiques.

Or, ne voilà-t-il pas que le nouveau gouvernement, désireux sans doute de montrer que, lui, contrairement au gouvernement précédent, éclaboussé par des allégations de financement occulte et illégal, sera d’une moralité irréprochable. Et il le démontre illico en amendant la loi.

Comment? En fixant à 100$ la contribution  maximale d’un citoyen à un parti politique. Plutôt que 1000$ tel que le prévoit la loi actuelle. Rappelons que du temps de René Lévesque, c’était 3000$. En dollars d’aujourd’hui, ce serait sans doute au moins le double : 6000$.

Est-ce à dire qu’à 1000$, l’intégrité et la moralité sont six fois mieux défendues et sauvegardées qu’à 6000$, et le seront soixante fois mieux en fixant la limite à 100$? Bien sûr que non!

Je dirais même : au contraire! Une limite aussi basse ne fera qu’accroître la tentation de recourir aux prête-noms. Car, voyez-vous, plusieurs l’ont signalé, elle est là, la faille de la loi : les chèques sont personnels, comme le stipule la loi, mais, souvent, l’entreprise pour laquelle travaillait le donateur remboursait le montant donné. C’est ce trou dans la loi qu’il faut colmater.

Par conséquent, limiter à 100$, la contribution aux partis, ce n’est que de l’angélisme «plus blanc que blanc», mais ça ne règle pas le problème, ça ne peut que l’aggraver.  L’ancien ministre Yves Duhaime a bien raison : « Le PQ continue dans sa tradition : il a une mouche à écraser…il sort la masse!»

D’autre part, le gouvernement entend bien extirper de la vie démocratique les manigances politiciennes. De quelle manière? En prévoyant dans la loi des élections à date fixe.

Nous vivons depuis 1792 dans un régime parlementaire de type britannique. Et nous avons conquis la responsabilité ministérielle depuis 1848. Depuis ce temps, le gouvernement doit obtenir et conserver la confiance de la majorité des élus au Parlement. C’est la quintessence même du régime parlementaire britannique. Contrairement au régime présidentiel dont le détenteur du pouvoir exécutif, le Président, est élu au suffrage universel. Et il est indélogeable, même si l’institution législative (le Congrès par exemple) ne lui fait pas confiance et rejette ses propositions.

Dans notre régime (on peut ne pas l’apprécier, mais on ne doit pas le dénaturer), si un gouvernement perd la confiance de la Chambre, il est comme on dit renversé. Ce qui signifie presque toujours des élections. Et s’il est majoritaire, il peut démissionner en tout temps et déclencher un scrutin. Comme Lesage l’a fait en 1962. Et en 1981, autre cas de figure, Lévesque a fait un mandat de presque cinq ans. Dans les deux cas, était-ce des manigances? Dans notre régime, des élections à date fixe, c’est du bricolage …contre-nature.

Jacques Brassard

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Il est de règle pour éviter d`avoir à aborder les questions importantes de soulever des controverses accessoires entretenues par une presse complaisante.

La dernière élection américaine nous en a offert une éloquente illustration.

Au Québec, la chasse à la moindre bouteille de vin permettra de masquer et d`éviter de débattre de la faillite des monopoles gouvernementaux.

René Lévesque (avec d`autres de son temps) s`est attaqué aux problèmes majeures de son époque et s`est employé à y apporter des solutions modernes. Refuser, soixante ans plus tard de réexaminer ces solutions ce n`est pas perpétuer sa mémoire mais au contraire refléter l`immobilisme de la grande noirceur.
Réal Carbonneau

Vincent a dit…

Quelle serait la solution idéale selon vous, M. Brassard ? Disons que pour le besoin de l'exercice, vous étiez un despote éclairé avec le pouvoir d'instaurer des réformes à votre convenance.

Anonyme a dit…

Certaines lois ne servent qu'à compliquer les choses pour les honnêtes gens. Elles fixent des limites déraisonnables à leur liberté de contribuer comme ils l'entendent au parti politique de leur choix.

Fixer la limite de la contribution à 100$ n'est ni raisonnable ni équitable, d'autant plus que cette mesure cible les citoyens à hauts revenus, ceux justement qui sont imposés le plus mais qu'on prive du droit de contribuer à la vie politique en proportion de leurs moyens.

Les lois inutilement restrictives invitent les gens à les défier. Le gouvernement du Parti Québécois a suivi son penchant naturel vers davantage de contrôle et de restrictions à la liberté des gens. La solution au problème n'est pas de réduire le montant des contributions mais de l'augmenter à un niveau suffisamment élevé, rendant la fraude inutile.

Hélios d'Alexandrie

Jacques a dit…

S'il y avait abus avant, qu'est qui fait qu'il n'y en aura plus maintenant, on parle d'abus et de fraude, d'illégalitée, donc......

Anonyme a dit…

Monsieur Brassard,

Avant l’élection de 1976, peu d’entreprises contribuaient à la caisse du PQ.

Sans lui prêter des intentions, M. Lévesque aurait pu vouloir aussi corriger en 1977 cette « iniquité » avec la Loi No. 2. Je me souviens aussi que les libéraux se sont opposés au projet de cette loi.

En se maintenant au pouvoir, le PQ avait confirmé son nouveau statut de gouvernement donneur de contrats / emplois et de pourvoyeur en législations ciblées (valeur marchande d’un gouvernement). Le problème s’est vite atténué : par exemple, dans les firmes de génie conseil, le nombre d’associés principaux, ouvertement péquistes, avait connu un bond spectaculaire au début des années ’80.

L’effet pervers d’une loi sévère sur le financement des partis politiques est l’aspect : transgression de la loi. Dans les affaires de corruption, il y a nécessairement le corrupteur et le corrompu. En transgressant la loi, ce dernier est redevable au corrupteur, non seulement pour l’argent reçu, mais aussi pour la discrétion / silence. Pour un législateur, courant ou en devenir, c’est encore plus marqué, d’où l’intérêt pour le crime organisé.

Les dons déguisés aux partis politiques par des entreprises légitimes ou pas, ne corrompent pas directement, car il n’y a pas nécessairement de contrepartie facilement identifiable, mais il y a une obligation future ou un gros merci pour des bons offices passés.

Ceci dit, la loi de M. René Lévesque était à propos, mais on n’avait pas bouché des trous et, comme d’habitude, pendant longtemps, les gardiens de la démocratie, nos bons journalistes, ne remplissaient pas leur rôle. Pourtant, ces braves déblatéraient partout sur la pureté du Modèle électoral québécois.

Maintenant, ce n’est pas pour colmater les brèches que le penseur Lisée et Cie veulent « renforcer » la loi. Ceux qui observent ces messieurs, peuvent l’extrapoler à partir des manipulations constantes de l’éminent « chercheur ».

Non, c’est pour renforcer la perception publique que le PQ est propre. Ainsi, lorsque des travers passés du Parti feront surface, le PQ se serait positionné depuis longtemps en redresseur des torts, incapable de turpitude et, de toute façon, en 2013 les gens seront trop « tannés » par des révélations sur les agissements des libéraux, pour y prêter assez d’attention. Les journalistes affiliés y verront.

Nouvelle élection à majorité claire et vive le Référendum 2014, ou après les prochaines élections à date fixe, si le projet de loi passe (beau moyen de gouverner en despote, lorsqu’il n’y a pas la confiance de la Chambre à ménager) !

Bien à vous,
Paul S.