mardi 20 avril 2010

ANGLICISATION RAMPANTE

Je ne vous parlerai pas de l’insignifiance du débat sur la nomination des juges qui ne porte plus désormais que sur la méconnaissance ou pas, de la part du Premier Ministre, des candidats recommandés par le comité de sélection. Allô! Retour sur Terre! Les juges sont nommés par un décret du Conseil des Ministres, et le PM ne serait pas au courant des noms des personnes aptes à devenir magistrats? Franchement! La tribu des scribes oublie juste un tout petit détail : le PM, c’est le chef du Gouvernement! Et si un député (où un ministre) est informé qu’un avocat qu’il connait bien et qu’il estime compétent a postulé pour accéder à la magistrature, qu’y a-t-il de si répréhensible et de si scabreux dans le fait qu’il exprime un avis favorable auprès du PM où de son cabinet, à condition, bien sûr, que le candidat ait été retenu par le comité de sélection? À moins qu’on soit en mesure de démontrer qu’un lien existe entre la nomination du juge et le financement du parti au pouvoir…

Je ne vous parlerai pas non plus de Michel Chartrand, décédé récemment. Paix à son âme! Mais je n’ai nulle envie de participer au concert de louanges et à la glorification du vieux syndicaliste démagogue. Il est vrai comme le chante Brassens «qu’une fois qu’ils ont cassé leur pipe, les morts sont tous de braves types». Il fut sans doute d’un certain secours aux travailleurs syndiqués, mais c’était un irréductible socialiste, étatiste mur à mur, qui a déjà claironné son ardente admiration pour des régimes totalitaires comme ceux de Cuba et de l’Albanie!!! Faut le faire! Il était aussi affligé d’un anti-américanisme profondément pathologique et d’un antisionisme imprégné d’antisémitisme (il était l’ami du terroriste Arafat). Quand on sait, depuis déjà belle lurette, que le socialisme totalitaire a été pendant plus de 75 ans un épouvantable fléau semant partout la mort, la misère, la famine et les goulags, on remercie le bon Dieu que Chartrand et ses pareils ne se soient pas retrouvés au Pouvoir. Remercions aussi le peuple qui, tout en se bidonnant devant l’humour grossier du Camarade, gardait son gros bon sens et ne l’a jamais élu à la suite de plusieurs tentatives (dont une dans Lac St-Jean lors d’une élection partielle en 1959).

Non, je veux vous parler de l’anglicisation rampante à Montréal, Métropole du Québec. Vous avez sans doute pris connaissance de quelques éléments du rapport sur la situation du français à Montréal préparé par le député du PQ Pierre Curzi et son personnel de cabinet. Il y a de quoi être inquiet! Mais l’inquiétude s’amplifie lorsque vous parcourez le document en entier.

Quelques citations s’imposent.

Sur la démographie. «Les jeunes adultes (qu’ils soient allophones ou francophones), ayant adopté l’anglais comme langue d’usage, transmettent l’anglais comme langue maternelle à leurs enfants qui viennent ainsi s’ajouter à la base de la pyramide et compensent de cette façon une bonne partie de la sous-fécondité anglophone. Par contre, les enfants des personnes francisées (allophones ou francophones) ne sont pas assez nombreux pour compenser la sous-fécondité des francophones, traduisant ainsi un déficit de remplacement majeur dans la structure d’âges des francophones. Si le français et l’anglais exerçaient un pouvoir d’attraction proportionnel à leurs poids démographique respectif, les bases des deux pyramides seraient identiques, ce qui n’est pas le cas. La fécondité détermine habituellement le remplacement des générations, mais quand il s’agit de remplacer une population donnée de langue maternelle, la vitalité de la langue en cause joue aussi le rôle significatif. Selon les données précédentes, il est possible de conclure qu’en dépit d’une sous-fécondité semblable entre anglophones et francophones, la forte capacité d’attraction de la langue anglaise lui confère un avantage démographique.»

Sur les mouvements migratoires.

«Une analyse de la migration intraprovinciale démontre que les trois groupes linguistiques délaissent dorénavant l’île, mais que ce sont toujours les francophones qui quittent davantage en proportion de leurs poids démographique…C’est donc sur l’île de Montréal que se joue toute la question linguistique au Québec. Ce qui se passe à Montréal se répercute directement en banlieue. La simultanéité des comportements migratoires interprovinciaux et intraprovinciaux a eu et risque d’avoir une incidence importante sur l’équilibre du poids de chaque groupe linguistique de la population totale de l’île. Compte tenu de ces deux tendances, le poids des francophones sur l’île continuera à chuter tandis que celui des anglophones s’y maintiendra ou, même, augmentera.»

Sur l’immigration.

«Le phénomène d’anglicisation en cours à Montréal et dans sa couronne a été démontré en chiffres absolus et en pourcentage dans le premier chapitre, mettant en lumière que le pouvoir d’attraction de l’anglais y est supérieur à celui du français, et ce, malgré le fait que la population anglophone soit beaucoup moins nombreuse que la francophone. Cette force d’attraction considérablement supérieure de l’anglais sévit particulièrement sur l’île de Montréal. Un phénomène de migration interne vient accentuer cette force d’attraction de l’anglais sur l’île, puisque les locuteurs francophones quittent Montréal au profit de la banlieue, alors que les anglophones ont de plus en plus tendance à y rester. … Contrairement à d’autres entités territoriales où la loi du sol oblige les nouveaux arrivants à parler la langue officielles pour bien fonctionner, au Québec, les immigrants ont le choix de se joindre à la communauté anglophone ou la communauté francophone.

Malgré toutes les mesures de francisation instaurées depuis 1977 par la société québécoise pour améliorer le statut du français, la langue de la majorité n’arrive pas à contrer le pouvoir d’attraction de l’anglais, notamment dans la métropole et sa couronne. Le français n’est pas un symbole de prospérité comme l’anglais peut l’être. Non seulement les allophones s’anglicisent, mais les francophones aussi.»

Il va sans dire que toutes ces assertions s’appuient sur des statistiques officielles. Et à partir de cette effarante réalité, j’aurais deux commentaires à formuler.

D’abord, sur le seuil d’immigrants reçus. Tous les rapports et études depuis 20 ans mettent en relief des défaillances sérieuses en matière d’intégration des nouveaux arrivants à la société d’accueil. Le rapport Curzi ne vient que confirmer ce constat. Or, si, comme peuple, nous éprouvons d’énormes difficultés, non seulement à franciser les immigrants, mais aussi à en faire des Québécois socialement et culturellement, ne serait-il pas pertinent et justifié en tout premier lieu de s’interroger sur le seuil d’immigration? En d’autres termes, si nous n’arrivons pas à intégrer convenablement 45,000 immigrants, comment peut-on sérieusement penser qu’en haussant le seuil à 55,000, notre capacité d’intégration va subitement, comme par magie, s’améliorer? Je ne vois pas comment, en toute logique, on peut répondre par l’affirmative à cette question.

Lorsque Mario Dumont, en 2007, a mis en doute l’à propos de passer de 45,000 à 55,000 immigrants par année, il a été cloué au pilori, injurié, calomnié par le PLQ et le PQ de même que par les gardes-chiourmes du multiculturalisme qui nichent dans les salles de rédaction et les officines universitaires. On l’a traité de lepeniste, de xénophobe et même de raciste.

Pourtant, il n’avait fait qu’énoncer une évidence : on n’arrive pas à intégrer correctement 45,000 immigrants, ça ne peut qu’empirer avec 55,000. Le PQ devrait faire son mea culpa et, à la suite du rapport Curzi, reconsidérer à la baisse le seuil d’immigrants reçus au Québec et, par voie de conséquence, retirer formellement son appui à cette décision irresponsable et néfaste de fixer à 55,000 le nombre annuel de nouveaux arrivants au Québec.

Mon deuxième commentaire porte sur l’idéologie multiculturaliste, idéologie dominante bien implantée au sein de la technocratie, dans les milieux médiatiques et les cénacles intellectuels. Ai-je besoin de vous rappeler que le multiculturalisme, enchâssé dans la Constitution canadienne, promeut le maintien et le renforcement des identités culturelles autres que celle du peuple enraciné en terre d’Amérique depuis 400 ans. Mais c’est encore pire que cela. La substance identitaire, historique et culturelle du peuple québécois doit être rabougrie, laminée pour ne pas heurter et contrecarrer le déploiement du pluralisme des identités, devenu religion d’État.

Je conviens avec vous qu’à Alma, sur les rives du Piekouagami , je n’ai pas à me buter contre le pluralisme identitaire. Il y a bien un certain nombre de citoyens de diverses origines (haïtienne, italienne, libanaise, latino-américaine etc), mais ils sont devenus des Québécois quasiment pure laine. On peut toutefois voir, au sein de l’école, les dispositifs multiculturalistes mis en place aux fins de modeler les cerveaux de mes petits-enfants.

Il est bien évident que c’est dans la métropole que la dévastation multiculturaliste prend une ampleur angoissante. De nos jour, à Montréal, défendre et promouvoir l’identité, la culture et l’expérience historique de la nation québécoise (et leur octroyer un statut dominant et privilégié) est considéré comme rétrograde, xénophobe, archaïque et intolérant. Bref, c’est d’un très mauvais genre!

Mathieu Bock-Côté a bien raison de signaler qu’à partir de la courtepointe pluraliste et cosmopolite de la Métropole, il est en train de se forger une nouvelle identité multiculturelle montréalaise, distincte de celle de la communauté nationale majoritaire ayant pris racine dans la vallée du St-Laurent il y a 400 ans. Nous sommes désormais ceux qu’on appelle les «de souche» ou, avec encore plus de mépris, les «souchiens». Voyez un peu comment, en 2010, se configure la société québécoise. Il y a, d’un côté, la mosaïque multiculturelle montréalaise chapeautée par des élites médiatique, intello-universitaire, politique, artistique, pluriculturelle qui incarnent la modernité, le progrès, l’ouverture et le remodelage sociétal et, de l’autre, les «souchiens» des régions, de la vieille Capitale et de certains ghettos québécois de la Métropole qui, eux, sont vraiment hors circuit, hors courant, déconnectés de la splendeur multiculturaliste, repliés sur eux-mêmes et trop bornés, trop frileux pour s’engager joyeusement dans la déconstruction de leur identité anachronique et démodée.

Mathieu Bock-Côté désigne Guy A. Lepage pour en quelque sorte symboliser et personnifier cette nouvelle identité multiculturelle montréalaise opposable à celle, trop surannée, du peuple québécois. Qu’il suffise de se souvenir que dans les sketches de RBO aussi bien que dans le dernier Bye Bye, Guy A. Lepage représentait toujours les non-montréalais (les «de souche») comme des crétins incultes, de gros épais et des dégénérés. Mais il n’est pas le seul à mépriser ce misérable peuple qui ose penser que son identité, sa culture, sa langue, son histoire et son patrimoine sont respectables et estimables et qu’il n’est pas déraisonnable de vouloir vraiment intégrer linguistiquement et culturellement les nouveaux venus à la communauté nationale québécoise. Alain Dubuc, par exemple, désigne les patriotes et les nationalistes comme des «ayatollahs de la québécitude».

Ce qu’il faut conclure de ces deux commentaires inspirés par le rapport Curzi, c’est que l’anglicisation rampante de Montréal ne pourra pas être efficacement arrêtée en ciblant uniquement la dimension linguistique de l’intégration des immigrants. La dimension culturelle est tout aussi essentielle. Il faut donc sans nul doute renforcer la charte de la langue française, mais il faut également, et de toute nécessité, extirper l’idéologie multiculturaliste qui contamine et gangrène l’appareil de l’État.

Je ne peux résister à l’envie de vous citer en terminant Mathieu Bock-Côté. Je dois vous dire que je l’aime bien ce jeune intellectuel : il est brillant, articulé, intelligent et patriote. Carl Bergeron, auteur du blog l’Intelligence conséquente, est du même acabit.

«Aucune gouvernance nationaliste, écrit-il, ne sera possible ni pensable sans une confrontation déclarée du système idéologique officiel et des médias qui assurent son hégémonie. Aujourd’hui, la défense de la langue française passe nécessairement par celle de l’identité québécoise et cette entreprise passe par la déconstruction du multiculturalisme comme idéologie et comme pratique politique et administrative. Aujourd’hui, la défense de la langue française est radicalement incompatible ave le maintien du multiculturalisme comme religion d’État.»

Si la classe politique, et le PQ au premier chef, ne fait pas sienne cette vision des choses, l’avenir du peuple québécois risque d’être bien sombre.

Jacques Brassard

mardi 13 avril 2010

LE BLOC PATRIMONIAL: PETITE HISTOIRE

Je vais vous raconter une petite histoire. En 1998, lors du remaniement ministériel, Lucien Bouchard me confie le ministère des Ressources Naturelles (ce qui inclut l’énergie). Et il me donne un mandat, celui de réduire les compétences de la toute nouvelle Régie de l’Énergie. Nous étions allés trop loin, affirmait-il, et il fallait soustraire la production à l’autorité de la Régie. Il nous apparaissait absurde de maintenir le pouvoir de la Régie d’examiner et d’autoriser tous les nouveaux projets de barrages et de centrales d’Hydro-Québec. Après tout, la décision d’ajouter de nouveaux ouvrages de production au parc existant étant de nature économique et politique (le gouvernement étant l’actionnaire unique d’Hydro-Québec), il était parfaitement incongru d’être dans l’obligation d’obtenir la permission d’un organisme tarifaire composé de régisseurs nommés par le gouvernement. Donc, la production ne devait plus être assujettie à la Régie de l’Énergie.

Sinon, si nous n’amendions pas la loi de la Régie, il aurait fallu, pour des projets comme Toulnoustouc, Péribonka IV où le détournement de la Rupert, qu’Hydro-Québec, plutôt que de se faire autoriser par le gouvernement, son actionnaire unique, se présente devant la Régie pour obtenir son aval. Et elle aurait pu dire non sous prétexte que la preuve par les besoins n’était pas suffisamment étoffée.

J’ai donc assumé pleinement le mandat qu’on m’avait confié. Le projet de loi réduisant les pouvoirs de la Régie a été déposé et débattu. Et comme il y avait obstruction systématique de la part du Parti Libéral, j’ai dû recourir, en tant que Leader du gouvernement, à la suspension des règles (le fameux «bâillon») pour le faire adopter.

Or, la nouvelle loi comportait une innovation, un concept nouveau, celui de «bloc patrimonial d’électricité». Ce dernier était constitué de l’énergie produite à partir du parc d’équipements en service au moment de l’adoption de la loi, soit 165 twh (terawatt heure), c’est-à-dire 100 milliards de wattheures. Ce qui comprend tous les barrages et toutes les centrales construits depuis plus de 60 ans dont plusieurs étaient pleinement amortis et d’autres à la veille de l’être. Nous étions donc en mesure de déterminer un coût du kilowatt heure relativement bas. Et ce prix, fondé sur les coûts réels de production tout en tenant compte de l’amortissement, était de 2,79 cents du kilowatt heure. Et comme nous ne souhaitions pas qu’Hydro-Québec soit tenté de modifier ce prix à la hausse, nous avons pris soin de l’inscrire dans la loi.

Je vous signale qu’on en était arrivé là après de multiples rencontres avec Messieurs Caillé et Vandal, respectivement PDG d’Hydro-Québec et PDG de la division Production, et de nombreux meetings avec les hauts fonctionnaires du ministère et mon cabinet. J’ai dû également franchir toutes les étapes menant à l’adoption du projet par le Conseil des Ministres.

L’argument central que j’ai mis de l’avant à titre de ministre porteur du projet de loi était le suivant (largement développé dans mon discours de présentation à l’Assemblée Nationale) : nous avons, comme société, privilégié la filière hydroélectrique en investissant massivement dans la construction de barrages et de centrales; ce choix énergétique stratégique a eu pour effet de nous donner accès à une énergie à la fois renouvelable et à bas prix, comparativement à d’autres États et Provinces en Amérique du Nord; cette situation, résultant d’un choix judicieux, nous accordait un avantage tarifaire indéniable; compte tenu de notre fardeau fiscal, le plus lourd de toute l’Amérique du Nord, il était tout à fait justifié de perpétuer et de pérenniser cet avantage en le cristallisant dans la loi.

J’avais même déclaré, ce bloc patrimonial de 165 terawatt heures étant généré par des installations de production qui seraient totalement amorties dans quelques années, que s’il y avait lieu de réviser dans l’avenir le coût de 2,79 cents le kilowattheure, ce devrait être logiquement…à la baisse. À la baisse! De la même façon que le coût de votre logement diminue substantiellement lorsque votre prêt hypothécaire arrive à terme, c’est-à-dire lorsque votre maison est totalement amortie.

Mais voilà plutôt que M. Bachand annonce qu’il va l’augmenter. Il devrait passer, à partir de 2014, de 2,79 cents à 3,79 cents le kilowatt heure. Une cent du kilowatt heure, ça peut paraître anodin et insignifiant. Mais en réalité, ça se traduit en milliards de dollars et ça va pulvériser le seul et unique avantage que nous avons en tant que contribuables et consommateurs payeurs d’impôts, de taxes et de tarifs.

Et il ne faut pas confondre cette hausse abusive du coût de ce que certains appellent la «vieille électricité» et les augmentations de tarifs réclamées et obtenues par Hydro-Québec Distribution qui, elles, s’appuient sur les coûts de la nouvelle électricité (au-delà du bloc de 165 terawattheures) produite par de nouvelles centrales (Péribonka IV, par exemple) où de nouvelles filières (petites centrales, éoliennes, biomasse).

Mais dans le cas de la hausse du coût du kilowattheure provenant du bloc patrimonial, il s’agit ni plus ni moins d’une véritable confiscation par l’État d’un avantage acquis et d’un apanage bénéfique résultant de nos choix de société en matière d’énergie.

Certains diront qu’ayant été le porteur de ce dossier tout au long de son cheminement, je suis trop concerné et que je manque de recul pour apprécier objectivement la démarche du gouvernement libéral. Peut-être! Il faut dire, pour ma défense, que, lors du débat à l’Assemblée Nationale, non seulement le Parti Libéral a mené une lutte acharnée contre le projet de loi, mais tous les escadrons écolo-verdoyants sont montés aux barricades en me traitant de noms d’oiseaux, guidés par le Petit Caporal Steeven Guilbeault qui menaçait de déclencher aux États-Unis une campagne de boycott de l’électricité d’Hydro-Québec et stimulés par les exhortations du scribe aumônier Louis-Gilles Francoeur qui m’accusait «d’émasculer la Régie» (c’est ainsi que j’ai appris que la Régie …en avait!). J’ai même eu droit à une motion de blâme venant du congrès de mon propre parti. Il y a donc de quoi se sentir concerné. Vous comprendrez aussi que lorsque je vous parle des tactiques vicieuses et des basses manœuvres des cohortes écolos, je parle en connaissance de cause.

Mais ce n’est pas parce que j’ai été malmené lors du débat en Chambre en 2000 que je m’oppose à l’astucieuse manigance du ministre des Finances pour nous faire les poches. En fait, je n’au aucun motif d’être amer puisque je suis sorti gagnant de la bataille. Si je m’insurge contre cette odieuse entourloupe, c’est uniquement parce qu’elle constitue la suppression du seul atout qu’il nous reste en tant que contribuables pressurés.

Il nous faut donc exhorter les partis d’opposition (PQ, ADQ) à tout mettre en œuvre pour empêcher cette sordide manoeuvre.

Jacques Brassard

mercredi 7 avril 2010

LE BONHEUR D'ÊTRE TAXÉ!

Récemment, le ministre des Finances, Raymond Bachand, déclarait que le but ultime de l’action d’un gouvernement démocratique, c’était de rendre les gens heureux. N’est-ce pas merveilleux? Après tout, dans sa Déclaration d’Indépendance, la nation américaine n’annonce-t-elle pas que la «recherche du bonheur» est un droit aussi inaliénable que la liberté?

Et voilà que le premier budget du ministre Bachand multiplie taxes et impôts, alourdissant ainsi davantage le fardeau fiscal des Québécois (le plus accablant de toute l’Amérique du Nord). Que faut-il donc comprendre? Que le bonheur est dans l’oppression fiscale? Bien sûr que non! En fait, M. Bachand est contraint par les circonstances de rendre les gens malheureux en aggravant leur asservissement fiscal et c’est sans doute pour cette raison que son budget est, selon les experts patentés, un «budget courageux»!! Il faut en effet beaucoup de courage pour paralyser la «recherche du bonheur» de ses concitoyens. Et mettre ainsi entre parenthèses sa mission proclamée de «rendre les gens heureux». Il a dû, le pauvre, se faire violence pour trahir sa vocation première. Quel courage!

En réalité, il n’est pas le seul courageux de l’histoire du Québec. Comme le fardeau fiscal des Québécois s’est lourdement appesanti au cours d’un demi-siècle, c’est vous dire combien le courage fut en quelque sorte le trait distinctif de pratiquement tous les gouvernements du Québec qui se sont succédé pendant la même période. C’est stupéfiant et admirable de voir le nombre de ministres des finances qui, au Québec, ont fait preuve d’un courage si stoïque et si exemplaire pendant 50 ans. Dieu que nous sommes un peuple chanceux d’avoir eu des gouvernements qui ont toujours fait preuve de courage…pour nous écraser d’impôts!

Bon! Trêve d’ironie! Et envisageons la situation budgétaire du Québec dans toute sa crudité. Notre dette s’élève à 218 milliards de dollars. Chaque année, il faut prévoir au moins 7 milliards pour le service de la dette. Au Canada, nous détenons le championnat de la province la plus endettée. Nous nous classons au cinquième rang de tous les États les plus endettés… à travers le monde. Devant nous, le Japon, l’Italie, la Grèce (qui est en banqueroute) et l’Islande (qui est en défaut de paiement). Pas mal, N’est-ce pas? Et la moitié de cette dette a servi à payer l’épicerie (les dépenses courantes). L’économiste David Descôteaux est formel : «On s’endette simplement pour faire fonctionner la machine. Pour payer tous les employés, les programmes sociaux et nourrir notre troupeau de vaches sacrées… C’est donc inutile de croire que nous corrigerons la situation en haussant les taxes, les tarifs ou les impôts. Je répète : nous n’avons pas un problème de revenus --nous sommes déjà les plus taxés en Amérique du Nord!--nous avons un problème de dépenses. En fait, nous possédons le titre peu enviable (et absurde) d’État à la fois parmi les plus endettés et les plus taxés!». Que voilà lucidement décrit, en quelques phrases limpides, notre triste sort de peuple surtaxé et surendetté.

C’est sur la base de ce constat fondamental (nous avons un problème de dépenses, pas de revenus) qu’un gouvernement devrait faire ses choix budgétaires. Si l’on fait exception de la courte période au cours de laquelle le gouvernement Bouchard a reconnu que notre problème en était un de dépenses (ce fut l’opération déficit zéro), nous devons prendre acte qu’au cours des décennies passées, tous les gouvernements ont préféré croire que nous avions un problème de revenus, ce qui justifiait la cascade de hausses de taxes, de tarifs et d’impôts qui s’abattait bon an mal an sur les pauvres contribuables taillables à merci.

Bien sûr, on nous répondra que le gouvernement s’est engagé solennellement à réduire massivement les dépenses. Comment une telle promesse peut-elle être crédible quand on se rappelle l’échec lamentable du plan de réingénierie de l’État qui avait pour objectifs d’alléger l’appareil technocratique et de sabrer dans les programmes? Les sondages sont éloquents : personne ne croit le gouvernement. Avec raison!

Car pour réduire la taille de l’État, il faut s’attaquer aux dépenses de l’État; et pour s’attaquer aux dépenses de l’État, il faut revisiter le «modèle québécois». Si vous ne faites que batifoler en périphérie du modèle québécois, notre «problème de dépenses» va demeurer pratiquement intact. Et, entre vous et moi, geler les salaires des élus où supprimer les primes aux technocrates, c’est bien sympathique, mais ce sont là de dérisoires fadaises pour tenter d’amadouer le bon peuple. Il faut plutôt briser les tabous et revoir sans préjugés certains grands programmes de l’État. Il ne s’agit pas de les démanteler, mais d’en modifier le gabarit.

Examinons le plus gros et le plus coûteux de ces programmes : notre système de santé. Il est ruineux, il est éléphantesque, il est technocratisé à l’excès et il est d’une efficacité médiocre (pénuries, rationnements et files d’attente sont de persistantes réalités). Le diagnostic est connu depuis des lunes. Les solutions aussi. Or, que fait le gouvernement? En annonçant un nouvel impôt et, pour bientôt, un ticket modérateur, il continue d’engloutir des milliards dans un système qui ne cesse de se détériorer et dont on est incapable de maîtriser les coûts. Le vrai courage, ce serait de revoir le panier de services, de permettre aux médecins la mixité (le droit de pratiquer à la fois dans le privé et dans le public) et d’autoriser le recours aux assurances privées pour des actes couverts par le régime public. Toutes ces solutions sont largement connues. Il y a des piles de rapports sur les tablettes du ministère qui les proposent et qui les décrivent en long et en large. Pour reprendre les appellations de l’économiste Descôteaux, c’est, de toute évidence, notre plus plantureux «problème de dépenses». Or, depuis des décennies, nous persistons à le traiter comme un «problème de revenus». Et ce fut le cas même à l’époque de l’opération déficit zéro. Je me souviens très bien que toutes les missions de l’État avaient été considérées comme des «problèmes de dépenses», sauf la santé. La santé était demeurée un «problème de revenus» puisque le gouvernement avait continué d’y injecter des milliards. Je me dois quand même de signaler que l’ADQ (redevenu un tiers parti) est le seul parti qui soutient (et a toujours soutenu) ces virages majeurs en santé.

Nous n’atteindrons jamais l’équilibre budgétaire et ne vivrons jamais selon nos moyens tant et aussi longtemps que le taux d’augmentation des «coûts de système» dépassera constamment le taux de croissance de l’économie québécoise. Où alors, pour l’atteindre, on fera ce qu’on a toujours fait : recourir à la fiscalité et à l’endettement. Un démentiel cercle vicieux!

J’ai surtout évoqué le système de santé comme énorme «problème de dépenses», mais il y en a d’autres. Celui des services de garde par exemple. J’ai déjà écrit que nous avions fait une erreur en privilégiant le financement direct par l’État des garderies, plutôt que de subventionner les parents qui feraient eux-mêmes le choix du mode de garde. On le sait, l’effet pervers d’une pareille orientation fut la fonctionnarisation et la centralisation des services de garde accompagnées d’une montée des coûts sans pour autant que les parents aient droit à une accessibilité adéquate.

Or donc, quand je vois nos scribes bien-pensants user de l’épithète «courageux» pour qualifier le budget Bachand, je trouve cela bien désopilant en même temps que bien démoralisant. Mais je sais fort bien que pour envisager les choses de l’État, non pas sous l’angle d’un «problème de revenus», mais d’un «problème de dépenses», la classe politique devrait faire preuve d’un courage à toute épreuve. Un véritable courage! Car cela signifierait affronter les corporatismes qui régentent tout l’appareil de l’État (surtout le système de santé), faire sauter les tabous sclérosants, ébranler l’orthodoxie étatiste et faire éclater le mythe de la malfaisance essentielle de la présence du privé en santé. Ce qui est loin d’aller de soi. Pour tout vous dire, je ne crois pas qu’il y ait, au sein des élites politiques, une dose appropriée de courage pour s’engager dans une pareille mission. J’ai bien peur que nous allons continuer d’être une société toujours de plus en plus endettée et surtaxée. Y a-t-il un terme à ce parcours de perdition? Y a-t-il un mur sur lequel on finit par se fracasser? Les exemples de la Grèce et de l’Islande (et de bien d’autres pays européens) nous laissent penser que oui.

L’État-providence que nous avons édifié au fil des décennies est devenu trop gros pour nos moyens depuis déjà pas mal de temps. Il souffre d’obésité morbide. Il faudrait lui imposer une diète sévère. Mais on trouve plus «courageux» de poursuivre le gavage.

Jacques Brassard