DÉPRIME IDENTITAIRE
(Chronique parue dans le Journal de Québec le 25 octobre)
N’allez surtout pas croire que
Stephen Harper est un crétin, un plouc des Prairies. Ce serait une erreur.
C’est un homme intelligent doté d’un sens politique bien affûté.
Depuis plusieurs années, il joue, à
l’égard du Québec, le rôle du beau-père que les enfants de la conjointe ne
peuvent pas sentir et haïssent sans retenue. Il a bien essayé de les amadouer
et de se faire aimer d’eux, mais ce fut peine perdue. Alors, il ne les a pas
maltraités, certes, mais il a décidé de les ignorer et de s’en distancer. Cette
indifférence est d’autant plus justifiée pour lui que ses propres enfants
d’Ontario et de l’Ouest lui ont manifesté soutien et confiance.
Alors, ne vous scandalisez pas si M.
Harper a jugé bon de nous agresser à propos de notre «droit à
l’autodétermination». Chrétien et Dion, auparavant, nous avaient rentrés dedans
sur la question de l’intégrité territoriale du Québec.
Mais n’oublions pas que notre droit à
décider nous-mêmes de notre avenir, nous l’avons exercé à deux reprises et que
nous avons échoué les deux fois. On peut bien évoquer, avec raison peut-être,
«l’argent et les votes ethniques», il n’en demeure pas moins que c’est la
division entre nous qui nous a fait échoué. Il y a quand même 40% des Québécois
dits «de souche» qui ont voté NON en 1995.
Vous ne trouverez pas une telle
proportion dans les référendums qui ont
donné naissance à plusieurs nouveaux pays dans les dernières décennies. Dans
les pays baltes et en Ukraine, par exemple, les minorités russophones ont voté
massivement NON (comme les Anglos chez nous), mais les Lithuaniens, les Estoniens, les
Ukrainiens et les Lettons ont voté OUI tout aussi massivement. Résultats :
quatre pays de plus.
Nous, nous n’avons pas osé. Nous
avons échoué à deux reprises. Et les fédéralistes aussi n’ont pas réussi à
réformer le régime fédéral dans le sens binational. Et n’allez pas croire que
ces trois échecs sont sans effet sur notre «âme collective». Au contraire, le
sentiment de l’échec gangrène notre inconscient collectif et magane notre
«estime de soi». Se dire non à nous-mêmes autant de fois de suite, ça laisse
des traces.
Sur le plan identitaire, nous nous
sommes davantage «elvisgratonnisés» et «multiculturalisés». À la
question : «qui sommes-nous?», nous avons des choix multiples :
Québécois d’abord, Canadien d’abord, Québécois-Canadien, Canadien-Québécois,
Québécois tout court, Canadien tout court. Une pareille confusion identitaire
ne peut conduire qu’à l’échec et l’échec nous désoriente davantage et nous
rend encore plus frileux.
Ne nous étonnons donc pas de voir le
Canada anglais, Stephen Harper en tête, nous pousser dans les câbles et nous
cogner joyeusement.
À trois reprises, nous avons menacé
de faire un malheur et de brasser la cage. Et nous ne l’avons pas fait.
Ne nous surprenons pas que les
Canadiens anglais nous méprisent et nous traitent comme des poltrons
prétentieux. Nos défaites successives
ont bousillé notre rapport de force. Ayons la lucidité de le
reconnaître. C’est la première étape d’une thérapie nationale.
Jacques Brassard
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