vendredi 25 octobre 2013


                                              DÉPRIME IDENTITAIRE
                        (Chronique parue dans le Journal de Québec le 25 octobre)

N’allez surtout pas croire que Stephen Harper est un crétin, un plouc des Prairies. Ce serait une erreur. C’est un homme intelligent doté d’un sens politique bien affûté.

Depuis plusieurs années, il joue, à l’égard du Québec, le rôle du beau-père que les enfants de la conjointe ne peuvent pas sentir et haïssent sans retenue. Il a bien essayé de les amadouer et de se faire aimer d’eux, mais ce fut peine perdue. Alors, il ne les a pas maltraités, certes, mais il a décidé de les ignorer et de s’en distancer. Cette indifférence est d’autant plus justifiée pour lui que ses propres enfants d’Ontario et de l’Ouest lui ont manifesté soutien et confiance.

Alors, ne vous scandalisez pas si M. Harper a jugé bon de nous agresser à propos de notre «droit à l’autodétermination». Chrétien et Dion, auparavant, nous avaient rentrés dedans sur la question de l’intégrité territoriale du Québec.

Mais n’oublions pas que notre droit à décider nous-mêmes de notre avenir, nous l’avons exercé à deux reprises et que nous avons échoué les deux fois. On peut bien évoquer, avec raison peut-être, «l’argent et les votes ethniques», il n’en demeure pas moins que c’est la division entre nous qui nous a fait échoué. Il y a quand même 40% des Québécois dits «de souche» qui ont voté NON en 1995.

Vous ne trouverez pas une telle proportion  dans les référendums qui ont donné naissance à plusieurs nouveaux pays dans les dernières décennies. Dans les pays baltes et en Ukraine, par exemple, les minorités russophones ont voté massivement NON (comme les Anglos chez nous),  mais les Lithuaniens, les Estoniens, les Ukrainiens et les Lettons ont voté OUI tout aussi massivement. Résultats : quatre pays de plus.

Nous, nous n’avons pas osé. Nous avons échoué à deux reprises. Et les fédéralistes aussi n’ont pas réussi à réformer le régime fédéral dans le sens binational. Et n’allez pas croire que ces trois échecs sont sans effet sur notre «âme collective». Au contraire, le sentiment de l’échec gangrène notre inconscient collectif et magane notre «estime de soi». Se dire non à nous-mêmes autant de fois de suite, ça laisse des traces.

Sur le plan identitaire, nous nous sommes davantage «elvisgratonnisés» et «multiculturalisés». À la question : «qui sommes-nous?», nous avons des choix multiples : Québécois d’abord, Canadien d’abord, Québécois-Canadien, Canadien-Québécois, Québécois tout court, Canadien tout court. Une pareille confusion identitaire ne peut conduire qu’à l’échec et l’échec nous désoriente davantage et nous rend  encore plus frileux.

Ne nous étonnons donc pas de voir le Canada anglais, Stephen Harper en tête, nous pousser dans les câbles et nous cogner joyeusement.

À trois reprises, nous avons menacé de faire un malheur et de brasser la cage. Et nous ne l’avons pas fait.

Ne nous surprenons pas que les Canadiens anglais nous méprisent et nous traitent comme des poltrons prétentieux. Nos défaites successives  ont bousillé notre rapport de force. Ayons la lucidité de le reconnaître. C’est la première étape d’une thérapie nationale.

Jacques Brassard

 

 

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